Vivre sa vie

 

Dans le zen que faisons nous ?

Rien de spécial. Si ce n'est vivre sa vie.

 

S'asseoir, respirer, marcher, couper des légumes, cuisiner, coudre, dormir, faire le ménage, chanter, manger, tous ensemble. Rien n'est caché, tout est là. Notre humanité entière réside là-dedans, « dans la voie de tous les jours ». Pas de pouvoirs magiques pour tordre la vie, obtenir le bonheur, un sort meilleur. Accepter pleinement d'être un humain. D'être venu pour faire la terrible et merveilleuse expérience d'être cet humain là. Un tube, un bambou creux, dans lequel passent la colère, la honte, la joie, l'amour, la jalousie, le plaisir,...sans rien s'accaparer, en ne s'identifiant pas à ce qui nous traverse, se laisser transpercer, défaire. Parfois dans l'inconfort, dans la frustration, parfois dans le désir d'être ailleurs ou quelqu'un d'autre. « Tels que vous êtes vous êtes complets » disait Kodo Sawaki. Parfois difficile à digérer, cette humanité qu'on croit incomplète, séparée, à développer, à augmenter, à illuminer.

 

Parfois satisfait de soi-même et ne voulant plus bouger, s'accrochant à notre maigre royaume, à nos courts succès, à notre peur de chuter, de souffrir ou de faire des erreurs.

 

Se lever avec le soleil, se coucher avec la lune, des fois ne pas se lever, des fois ne pas se coucher, ne pas être sage avant l'heure, tout est finalement à sa place, ma vie n'aurait pu être différente de ce qu'elle est. « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris » ai-je lu un jour sur un post-it qui ornait le frigo d'une amie alors que je prenais une bière. Le frigo me parlait. L'univers entier n'arrête pas de nous parler, de s'adresser à nous, de nous renvoyer qui nous sommes vraiment et que nous trimballons partout avec nous, quelque soient les choix que l'on fasse. Pas moyen d'y échapper, il faut vivre sa vie, plonger dans la piscine plutôt que de croire que nous y sommes tombés par erreur et que nous devons à tout prix remonter sur la bordure - d'un quelconque éveil, salut, nirvana, paradis- hors de cette condition d'humain. Assumer l'entière responsabilité de ce que nous sommes et de ce qui nous prend aux tripes. Vivre par choix et non par fatalité.

 

Utiliser ses bras, ses jambes, sa tête, son sexe, du mieux que nous le pouvons, nous les assoiffés, nous les handicapés, nous les obsédés, et dans ce corps de misères et de lumière, trouver la vraie liberté. Non, nous ne faisons rien de spécial, nous ne développons pas un muscle spirituel, une aptitude particulière, nous ne cultivons pas un savoir caché – la lettre volée est sous nos yeux, comme dans la nouvelle de E. A. Poe. Nous sommes insignifiants, invisibles, et parfois nous rions fort. Vous savez ? Le soleil ne se pose pas davantage dans la cour de récréation de l'école que dans la cour de la prison. Nous ne sortons pas du lot par un tour de passe-passe, notre pratique ne nous apporte rien, c'est juste la vie qui passe au travers de nous, et nous la laissons passer. Quand nous en avons le cran. Ou quand nous en avons assez de lutter. « Ça » lâche. Et-c'est-pour-tout-le-monde-pareil. Le zen en a juste fait son credo, sa revendication, son intention profonde : être un homme, une femme, véritables. L'expérimenter complètement, avec détermination. Même dans l'inconfort, en se disant : « Et si je restais là ? »

 

Le bouddha en nous est celui qui regarde la vie les yeux grand ouverts, le gars réel-réalisé, pleinement descendu dans sa peau. «Avant l'illumination couper du bois, puiser de l'eau. Après l'illumination couper du bois, puiser de l'eau.» Actualiser qui nous sommes. Goûter la personne que nous sommes en ce jour, à cet instant, sans rajouter ou enlever quoi que ce soit.

 

Pas de régime ou de diète particulières, pas de super-aliments ou d'interdit, « la bouche du moine est comme un four ». Tous ensemble, avec la sangha, miroir de notre pratique, compagnons de ce sport collectif, le dojo n'est pas un gymnase pour athlètes de la foi ou hygiénistes craintifs. Devenir un saint ? A quoi bon quand le trésor est déjà là. Mieux vaut croire en son propre esprit, tronc commun de l'humanité, « diamant magnifiquement taillé par les autres.»

 

Pour commencer le voyage vous n'avez besoin de rien, mais vous pouvez tout prendre avec vous. Tout ce qu'il vous faut c'est une question. Qui vous brûle de préférence. Qui va vous faire descendre de votre perchoir, qui va vous pousser hors de vos chemins balisés, et qui restera là, en sourdine ou parfois très fort, qui vous poussera à faire et à voir des choses que vous n'aviez même pas imaginé à votre sujet, qui vous laissera pantelant, pleurant sous la douche, illuminé de joie. Et qui vous poussera à continuer, juste pour le geste, même quand l'idée de quête aura complètement déserté votre esprit. Parce que le but est le chemin. Vivre sa vie.