Aïkido et zen_ Du combat à la transformation de soi

Une interview de Eric Grunewald par Germain Chamot

Publiée dans Aikido Magazine N°17

 

Eric Grunewald pratique l'Aïkido depuis plus de 12 ans, mais il est surtout moine Zen depuis 17 années. Les liens entre le Zen et les Arts Martiaux, s'ils existent, ne sont pas toujours des évidences. Eric Grunewald nous livre ici quelques clefs de compréhension...

 

 

Tu es à la fois pratiquant d'Aïkido et moine Zen. Peux-tu nous présenter ton parcours ?

 

J’ai commencé à pratiquer zazen au dojo de Toulouse en 1996, avec un moine Zen disciple de Maître Deshimaru, Jean-Claude Gaumer. À mes yeux, c’était un type hors du commun, avec une énergie phénoménale : moine Zen, il a élevé quatre enfants avec sa femme, peintre, pêcheur, bringueur… Le Zen était le pivot, l’axe de sa vie. C’est une rencontre qui a été décisive dans ma vie et qui continue de m’inspirer, de tirer ma pratique.

 

À l’époque, je venais de finir de longues études de droit et je me sentais complètement à côté de la plaque, à côté de ce que j’étais, de ce que je voulais faire. Je me suis rendu compte que je connaissais beaucoup de choses, mais que moi je ne me connaissais pas, que je vivais à côté de mes pompes…et c’était aussi absurde que douloureux ! J’ai tout repris à zéro ; je suis reparti en bas de l’échelle en faisant des petits boulots, en prenant ce qui venait et parallèlement j’ai commencé à chercher, dans des livres, au fil des rencontres et j’ai commencé à pratiquer le yoga. Je n’avais pas d’argent alors j’étudiais les postures en m’aidant d’un bouquin. J’avançais, mais je ne me sentais pas encore « au bon endroit ». Et chaque fois que je lisais un bouquin je me disais : « bon, maintenant, qu’est-ce qu’il t’en reste ? Tu fais quoi maintenant ? » Pour beaucoup d’entre-eux je n’avais pas ou peu de réponses et puis je suis tombé sur « La pratique du Zen » de Deshimaru. Quand j’ai refermé le bouquin je me suis dit : « Voilà il y a zazen. » Et puis, de fil en aiguille, j’ai poussé la porte du dojo Zen, et après ma première séance – qui a été un calvaire- je suis sorti de là en me disant : « je suis à la maison ! ».

 

J’ai reçu l’ordination de moine en 2000 de Jean-Claude Gaumer qui est décédé l’année suivante.

 

En 2002 j’habitais à Paris et je pratiquais au dojo Zen de Paris. Je faisais zazen tous les jours, mais j’avais envie de prolonger ma pratique dans l’action, dans le mouvement (même si aujourd’hui pour moi la distinction entre immobilité et mouvement ne fait pas forcément sens). Je me suis tourné vers les arts martiaux.

 

La capoeira d’abord, puis la boxe française. La capoeira était trop folklorique pour moi ; en tant que petit blanc français issu d’un milieu assez favorisé je ne me retrouvais pas dans les chants, les rites, les enjeux sociaux de la capoeira. Et au bout d’un certain temps j’ai trouvé que la boxe était difficilement compatible avec ma pratique de moine Zen : feinter, esquiver, cogner, gagner…ce n’était pas le genre de rapport que je voulais avoir avec le monde qui m’entoure. Le lendemain des cours de boxe je me rendais compte que ma façon d’approcher zazen était teintée, influencée par ce type de comportements. Ou peut-être que c’était ma façon de boxer qui n’allait pas … !

 

J’avais entendu parler d’aïkido, on disait que c’était « le Zen en mouvement » et à l’époque il y avait un cours d’aïkido certains soirs au Dojo Zen de Paris. Sans jamais en avoir vu je suis allé au cours en me disant qu’en faisant du Zen j’allais dépoter ! Comme tu peux t’en douter j’ai bien déchanté ! Je me suis rendu compte que j’étais raide, violent, en réaction, en opposition. Je me suis dit que si je pratiquais zazen comme ça aussi…

 

Dans la foulée j’ai aussi commencé un travail en Qi Gong et en énergétique chinoise qui a duré plusieurs années. Je suivais notamment des stages destinés à des personnes qui étaient impliqués dans un travail corporel (danseurs, artistes martiaux, kinés, comédiens, …) et nous explorions les bases du travail énergétique dans le corps, les fondements de la médecine chinoise, l’ostéopathie, la méditation. Plus tard j’ai fait deux ans d’école de MTC. Ça m’a permis d’avoir une autre vision de ma pratique, sous un autre angle, de développer d’autres perceptions.

 

 

Pourquoi les arts martiaux ?

 

Pour pouvoir prolonger ma pratique dans l’action, pour pouvoir l’incarner dans le mouvement. La vie quotidienne n’est que mouvement : actions, émotions, sensations, réflexions, tout bouge. Dans une voie spirituelle on est sans arrêt amenés à pratiquer dans l’action, dans le mouvement, dans la relation. La pratique c’est vraiment de pouvoir être libre au milieu des phénomènes. A mettre à l’épreuve ta compréhension de la voie, à actualiser ta pratique face aux autres, dans différentes situations, dans différentes postures.

 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire le spirituel ce n’est pas planer loin des contingences matérielles, notamment au XXIème siècle : rester pur dans la montagne, tout seul, ça n’a aucun sens, aucune valeur, si tu ne t’es pas un tant soit peu colleté avec tes désirs, tes passions, tes pulsions. Ça serait juste une fuite. De toute façon tôt ou tard ça finit par te rattraper, si tu ne veux pas les voir, elles reviennent avec de plus en plus d’acuité, de plus en plus de force, et là…

 

Dans la vie tu ne peux pas rester tout le temps assis. Et on ne peut pas réduire zazen à une simple posture assise. On vit, on se déplace, on rencontre des gens, on travaille, on aime, y compris dans un temple…. La pratique c’est d’incarner ton éveil dans ta vie quotidienne, de l’actualiser face aux phénomènes, y compris jusque dans les activités plus physiques.

 

En l’occurrence j'avais envie d'un rapport à l'autre qui soit quantifiable, physique. C'est-à-dire qu’en Aïkido c'est quantifiable dans le sens où tu as des longueurs de bras, des déplacements, des distances et si tu te trompes, tu finis dans l’œil du voisin. Tu bosses avec ton corps qui est un instrument très fini. En essayant de réaliser quelque chose qui est infini. Tu pars de ce que tu es, d'une première dimension, pour y découvrir quelque chose de plus infini. En tout cas, tel qu'en a parlé maître Ueshiba. Dans l’aïkido il y a aussi ce rapport à l’autre, qui est troublant, dérangeant…une saisie, une attaque, quelque chose qui semble te menacer, qui demande une écoute en tout cas, et qui fait surgir des émotions : colère, angoisse, peur, violence...

 

 

Comment positionnerais-tu le Zen par rapport à l'Aïkido ?

 

Plus j’approfondis l’un et l’autre et plus je me rends compte que l’essence du travail est la même. En tout cas pour moi, c’est partout la même chose, le même travail, dans le Zen, l’Aïkido, la vie quotidienne, il n’y a pas vraiment de séparation. Sur un tatami ou face à un mur on est toujours face à soi-même. On peut observer cette « crampe » de l’ego : cette volonté de se cramponner à quelque chose de sûr, cette volonté de protéger ou de valoriser l’ego, de « faire » quelque chose, d’obtenir un résultat. L’observer à l’œuvre pour ne pas s’identifier, et automatiquement revenir à sa vraie nature. Dans l’aïkido c’est très concret, très quantifiable, c’est un peu comme une loupe grossissante.

 

Le zazen pour moi reste la source et je me sens engagé dans la voie du zen à un autre niveau de par mon ordination de moine, le kesa, la lignée... C’est à partir de là, dans une posture stable, sans mouvement parasite, que je peux le mieux observer ce qui est là, les choses telles qu’elles sont.

 

Maître Ueshiba disait que « l’aïkido n’est pas une religion, mais l’aïkido est là pour aider la religion ». Religion au sens premier du terme, au sens de se relier au cosmos, à l’ordre cosmique. À ressentir que nous sommes inclus dans cet ordre cosmique. Que nous sommes cet univers. L’aïkido aide donc ma pratique, la prolonge dans une autre dimension de mon activité.

 

 

Il existe plusieurs courants dans le Zen. Peux-tu nous présenter le tien, ainsi que ce qui le caractérise par rapport aux autres formes existantes ?

 

Mon école est celle du Zen Soto, qui a été amenée en Europe il y a tout juste 50 ans par maître Deshimaru. Notre école met l’accent sur la pratique de zazen, la méditation assise et silencieuse. Dans les temples on commence et on finit la journée par zazen, et pendant les périodes intensives (sesshin) on pratique zazen plusieurs heures par jour. C’est difficile de parler des autres courants pour moi qui n’en suis pas un pratiquant. Mais sur le plan formel il y a le Zen Rinzaï, dont on dit qu’il est plus dur, plus sévère, qu’on appelait « le Zen des cris et des coups » (par rapport au Zen soto «zen de l’illumination silencieuse »), parce que les maîtres y poussent des cris à faire dresser les cheveux sur la tête ou cognent leurs disciples (c’est du moins ce que racontent les anciens textes). Ils ont également la pratique des koans qui sont des énigmes, des paradoxes que les élèves doivent résoudre, qu’ils tournent et retournent en eux jusqu’à ce que le mental implose et que le satori apparaisse.

 

Dans notre école nous mettons davantage l’accent sur la vie quotidienne, l’attention aux gestes ; la cuisine joue un grand rôle, mais également tout ce qui constitue le quotidien. On ne recherche rien, même pas le satori, même pas l’éveil. Maître Deshimaru parlait beaucoup de la condition normale, de la condition originelle. Faire zazen c’est revenir à la condition normale, se rappeler de notre nature originelle. En somme on ne fait rien de spécial.

 

 

La méditation est une pratique en plein essor en occident. Des méthodes, présentées comme plus adaptées au public occidental sont sous les feux de la rampe... Le Zen a-t-il toujours une place ? Reste-t-il pertinent et accessible ? Comment cette pratique se positionne-t-elle face aux autres types de méditation (Mindfulness, Vipassana, Transcendantale, etc.) ?

 

On parle beaucoup en effet de la pleine conscience, et je n’ai rien contre ça : que des occidentaux se rendent compte que leur rythme de vie, leurs appétits sont en train de les détruire et qu’ils essayent de ralentir, d’observer ça, de prendre un autre chemin, ça ne peut qu’amener quelque chose de mieux. Mais bon, en même temps le problème est là : on essaye d’instrumentaliser la pratique de la méditation. C’est sensé nous calmer, nous aider à moins souffrir, à être plus joyeux, à nous apporter la paix…Bref, on fait quelque chose pour obtenir une contrepartie, et là ça biaise tout. La notion clé, la grande porte de zazen, c’est mushotoku : sans but, sans esprit de profit, sans intention. La méditation, zazen, ont sûrement des vertus thérapeutiques, peuvent nous remettre d’aplomb, mais on ne parle pas de çà. Jean-Claude quand il était atteint du cancer en dernière extrémité disait : « je suis malade et pourtant je suis déjà guéri ». Fondamentalement nous ne sommes pas malades, nous ne sommes pas séparés des autres ou du tout. Pratiquer pour combler un fossé entre nous et la santé, nous et la paix, nous et la joie, c’est comme de regarder un chien courir après sa queue. Il y a un sutra qui raconte l’histoire d’un type qui mendiait et qui ne s’était pas rendu compte qu’il avait un diamant dans sa poche…

 

Au final on parle de la méditation comme on parle d’une médicamentation : il y a un diagnostic, un traitement à base d’exercices, une posologie, des recommandations… peut être des effets secondaires indésirables ? Encore une fois c’est l’ego qui essaye de se saisir de quelque chose, de se maintenir en vie, de contrôler, mais nous sommes tellement plus vastes que ça, vraiment infinis…Quand tu débarques dans une pratique comme ça, bien sûr au début tu veux résoudre un problème, un mal être, un manque. Mais si tu continues vraiment, que tu creuses, alors tu te retrouves dépassé, submergé, transformé de fond en comble et crois-moi ta vie commence à ressembler à quelque chose d’autre. À quelque chose à quoi tu n’avais même pas pensé ; il n’est plus question de faire disparaître un mal de tête…

 

Deshimaru quand il a créé le temple de la Gendronnière parlait d’en faire « un laboratoire pour l’humanité de demain ». Il ne s’agit pas de faire des expériences sur des gens, c’est sûr, mais plutôt de mettre en lumière ce pourquoi nous sommes là et de quelle manière nous pouvons l’incarner. Dans toutes les traditions tu retrouves cette notion que l’homme n’est qu’un instrument aux mains du pouvoir cosmique, un lien, un trait d’union entre la terre et le ciel. Bizarrement nous choisissons quotidiennement de ne pas suivre ce chemin et nous pensons qu’avec notre petit cerveau et nos petits bras nous allons faire tourner le monde à l’envers, selon nos désirs personnels. Après on s’étonne d’avoir des problèmes…et on va s’asseoir sur un coussin pour les résoudre.

 

 

En quoi consiste la pratique ?

 

La pratique c’est essentiellement le retour à la condition normale à travers la posture de zazen, et le kin hin. C’est ce qu’on pratique dans les dojos. Il y a également la couture du kesa et du rakusu. C’est la concentration, l’attention apportée dans chacun de nos gestes, à ce qui est là, à ce qui se manifeste. Le samu, l’attention au travail physique est également un aspect de notre pratique. Finalement on pratique à chaque instant. Le monde entier devient un dojo !

 

 

Pourquoi reste-t-on assis sans bouger ? Quelle fonction cela a-t-il ?

 

En zazen on ne bouge pas. Mais c’est pour mieux observer ce qui bouge. Parce qu’en fait tout bouge en zazen ! Quand tu es concentré sur la posture, sur la respiration, que tu n’entretiens plus les pensées, alors tu reprends contact avec ton être profond, avec toi-même, ce soi qui n’est séparé de rien. Au quotidien la plupart du temps on entretient une vie superficielle, à la surface, on s’agite, on remue, on brasse, on lutte. On respire superficiellement aussi, on ne laisse pas la respiration se faire, descendre jusque dans le nombril, on maintient juste un échange gazeux, pour survivre. En fait on est dans la survie et on s’agite pour s’en sortir. En zazen on ne s’agite plus, on descend profondément en soi, dans le corps, dans la respiration. Et quand on ne les brasse plus, toutes ces pollutions se décantent ; c’est comme un verre d’eau boueuse, si tu ne l’agites plus alors la terre tombe au fond et l’eau redevient claire.

 

 

Comment devient-on moine Zen ?

 

Assez simplement en fait, même si ça n’est pas toujours de tout repos ! Tu commences à faire zazen et puis tu viens de plus en plus souvent, tu commences à faire des sesshins, puis des retraites plus longues. Tu rencontres quelqu’un, un maître dont l’enseignement te parle, qui remue quelque chose en toi, tu le suis dans les sesshins, tu lui demandes l’ordination.

 

 

Comment présenterais-tu les bienfaits du Zen tel que tu le pratiques ?

 

Le Zen n’apporte rien que tu n’aies déjà. Kodo Sawaki, le maitre de Deshimaru disait « Tels que vous êtes, vous êtes complets, il ne vous manque rien, vous n’avez rien en trop. » Quand tu commences à intégrer ça tu peux complètement te détendre, comprendre qu’il n’y rien à atteindre en dehors de toi, que tout est toi. Dogen disait « Notre corps est l’univers. » Automatiquement plein de choses vont te paraître sans attrait, sans intérêt, tu vas te connecter sur une autre longueur d’onde en quelque sorte et tu vas pouvoir commencer à bouger vraiment, librement, de manière autonome, inconditionnée. Mais le travail continue. Il y a toujours des pièges, des écueils, des entraves...

 

 

On dit souvent que le Zen est la voie directe vers l'illumination. Penses-tu que d'autres pratiques pourraient apporter les mêmes bienfaits, ou bien la méditation est-elle une pratique vraiment unique par rapport à l'objectif du satori ?

 

Il y a plein de voies possibles. D’ailleurs, pour beaucoup elles ont le même message. Zazen c’est ce qui me convient le mieux, je trouve ça simple et direct ; il n’y a pas de chichis, pas de folklore, c’est un message, une pratique qui peut parler à tous, quel que soit l’âge, la condition sociale, le sexe. Deshimaru disait que zazen c’est le téléphérique. Tu es direct là où tu dois être. Là où tu es. Zazen c’est le satori, c’est l’éveil, il n’y a pas de distinction. La méditation est intimement liée à l’histoire de l’humanité. J’aime bien la phrase de Gary Snyder qui dit que c’est aussi naturel pour nous que pour les aigles de planer ou pour les loups de hurler en meute.

 

 

Le grand bretteur, Yamaoka Tesshu, était aussi adepte du Zen. Il aurait dit que le sabre et le Zen, c'était la même chose... Si tout est déjà dans le sabre, est-il inutile de pratiquer le Zen ?

 

Le sabre, le zen, manger, dormir, marcher, faire ses besoins… c’est la même chose. La forme change : debout, assis, allongé, en silence, en mouvement… mais le fond est le même, c’est notre nature profonde, éveillée. C’est la même trame sur laquelle se déploie l’activité humaine. Si en faisant du sabre tu comprends quelle est ta véritable nature, il y a de fortes chances pour qu’une fois que tu aies fini tes assauts tu aies aussi envie de faire zazen. Que tu y voies une continuité dans ce que tu es. Ou que tu fasses autre chose, c’est toi qui choisis !

 

 

De fait, réussis-tu à établir des liens entre ta pratique de zazen et l'Aïkido ? De quelle nature sont-ils ?

 

Comme je disais plus haut, pour moi c’est le même travail de fond. La forme est différente c’est tout. Mais dans les deux il est question de fluidité, de ne pas stagner sur une position, de laisser passer ce qui nous accroche, de ne pas s’identifier à quoi que ce soit. Sur une attaque ou une saisie si tu commences à te laisser embarquer par tes émotions, à te figer, à te durcir, ou à trouver ça inacceptable et à te débattre alors tu es foutu. Il te faut accepter ce qui est là et te détendre. C’est ce qui va te permettre de bouger, de rester libre et présent, de continuer à respirer. Ne pas tirer de conclusions, ne pas tomber dans la réactivité, dans la volonté de faire ou d’obtenir quoi que ce soit. C’est un numéro d’équilibriste dans lequel notre souveraineté est malmenée, et à chaque fois, à chaque instant il faut accepter de perdre, de lâcher prise sur quelque chose pour accéder à quelque chose d’autre. Et ainsi de suite. C’est comme s’il fallait un à un désactiver nos réflexes de survie : fuir, se battre, se tétaniser. Juste observer, se détendre, conduire la situation d’elle-même vers sa résolution, vers sa dissolution. C’est très difficile, c’est un travail continu d’attention à soi-même et à l’autre…et en même temps c’est un travail où il n’y a rien à faire, juste laisser advenir ce qui est déjà là, ne pas faire obstacle. Je trouve que dans les deux disciplines ce qu’on ne fait pas est plus important que ce qu’on fait.

 

Quand on voit maître Ueshiba à la fin de sa vie…il ne faisait rien ! Il levait les bras ou il bougeait, mais en même temps il ne faisait rien. Quand il parle de ses expériences mystiques ou de sa façon de faire, il y a souvent comme une sorte de don d'ubiquité. C'est-à-dire que lui et l'espace, ou lui et le temps, il n'y a pas de différence. C’est comme être partout en même temps, ou choisir de disparaître et de réapparaître à un autre endroit.

 

Dogen dit que l’être humain est un être-temps. Que nous sommes le temps.

 

Le temps est un mouvement cosmique, on est le temps, de la même manière qu'on est l'espace. Nous existons partout et de tout temps. Même si ça a l’air compliqué ou bizarre en utilisant des mots, en zazen on peut véritablement en faire l’expérience. C’est beaucoup plus simple que ça n’en a l’air.

 

 

Lorsque tu es venu animer une séance d'initiation au Zen à mon dojo d'Aïkido, tu as évoqué la notion d'ancrage. Nous avons par la suite développé ce point, afin de le comparer à la notion de mobilité. Peux-tu me rappeler ce que tu avais dit ?

 

« Ancrage » n’est pas un bon mot, au final, pour ce dont il est question ici. On l’emploie un peu à tort et à travers ; ça fait référence à quelque chose de statique, à quelque chose qui stagne, à quelque chose de figé. (Kodo Sawaki disait qu’être fort ce n’était pas juste manger du riz, boire du saké et souffler comme un bœuf ! ) Mais ça permet aux débutants de sentir ce lien avec le sol, avec la terre, cette poussée avec les genoux, cette stabilité à la base de la posture. Le Zen n’est pas quelque chose de figé, contrairement aux apparences. En zazen on peut sentir profondément la relation que nous entretenons avec la terre et avec le ciel, c’est quelque chose de vivant, comme toute relation (ou alors il n’y a plus de relation). Pousser le sol avec les genoux, pousser le ciel avec le sommet du crâne. La bascule du bassin vers l’avant avec une partie du poids du corps qui se pose sur les genoux permet de mettre en relation les hanches avec la terre et dans le même temps le fait de se redresser, de mettre de l’énergie dans le bas du dos permet également de relier le bas du dos avec le ciel. Au final on a une posture dans laquelle le centre (bassin, hanches, ventre, lombaires) est relié avec la terre et le ciel, avec le haut et le bas, il joue son rôle de lieu d’échanges, et la respiration témoigne de cet échange.

 

En kin hin (méditation marchée) on retrouve ce travail ; les pieds, les genoux, les hanches ont une vraie relation avec le sol. En alternance, ce qui évite également la stagnation, le durcissement. Le point sous le pied en contact prédominant avec le sol c’est le point Rein 1 « source jaillissante » en Médecine Traditionnelle Chinoise, c’est un vrai point d’échange entre notre corps et la terre. Ensuite la voûte plantaire, l’architecture du pied, de la cheville, du genou, de la hanche,… vont fonctionner comme des diaphragmes, avec une ouverture, une fermeture. On retrouve le kokyu de l’aïkido, le Mouvement Respiratoire Primaire de l’ostéopathie, la respiration cosmique de maître Deshimaru, qui peut se ressentir dans tout le corps. Donc développer cet « ancrage mobile » ça serait plutôt la faculté à pouvoir laisser vivre et respirer cet échange entre le ciel et la terre à travers notre corps, et notre travail consisterait à nous effacer pour le laisser faire.

 

 

Par ailleurs, tu avais évoqué le fait que l'illumination est déjà en nous, mais que nous y travaillons néanmoins, ce qui est paradoxal. Comment résoudre ce paradoxe ?

 

C’est une grande question : la question ! C’est cette même question qui a poussé Dogen à partir du Japon pour se rendre en Chine chercher un maître authentique. Nous ne travaillons pas à atteindre l’illumination. Du moins dans notre école. Nous travaillons à l’actualiser, à l’incarner, à la rendre présente, à ne pas y faire obstacle. C’est un long chemin pour rentrer chez soi ! L’éveil, l’illumination est notre condition de base, notre vrai visage. La pratique c’est l’éveil, le chemin c’est le but. Le but de la vie d’un homme c’est de vivre une vie d’homme véritable, il n’y a rien de plus.

 

 

Takuan Soho disait que, lors d'un combat, l'esprit doit circuler partout librement et ne se fixer sur rien. Qu'en penses-tu à la lumière de ta pratique de zazen ?

 

Il n’y a pas que dans un combat…L’esprit circule de toute manière librement, c’est nous qui l’entravons, par nos habitudes, nos catégories, notre façon de réduire le monde à quelque chose que nous voulons contrôler, maîtriser, sentir que ça passe par nous, ressentir que nous existons. « Lorsque l’esprit ne repose sur rien, le véritable esprit apparaît » dit le Sutra du Diamant. En zazen également l’esprit ne se fixe sur rien, ne stagne pas. Dans un combat, voire juste face à quelqu’un, à une émotion, à une sensation, dès que tu commences à être subjugué, fasciné, tu ne vois plus le reste, tu te laisses happer, c’est comme si ton esprit devenait une flaque d’eau croupie, tu deviens tout petit, étriqué, tu perds de vue ta vraie nature, vaste, illimitée. Personne ne peut battre l’univers entier.

 

 

Le Zen, semble une voie ardue et sévère. Qu'en est-il vraiment ?

 

C’est une voie en même temps pragmatique et idéaliste, et dans les deux cas on laisse tomber ce qui doit l’être, on ne s’encombre pas, on n’arrondit pas les angles, on ne fait pas dans la diplomatie, ce qui n’empêche pas d’être doux.

 

Après il y a tout ce qu’on peut se raconter, tout ce que le dialogue intérieur met en place : les crânes rasés, le kolomo noir, la posture bien droite…ça évoque des images pas vraiment sympathiques. Mais bon, quand tu vois un paysage, une montagne, un animal, la mer, ça peut aussi sembler austère, mais c’est la même chose, c’est la nature sans artifices, sans rajouts, sans flonflons.

 

Pour ce qui est de la sévérité, pour ma part je n’y crois pas vraiment. Le Zen est une voie abrupte, directe. Mais être sévère pourquoi faire ? Il n’y a rien à obtenir. Par contre, il ne faut pas se raconter d’histoires, se laisser bercer par notre discours intérieur. Pendant le zazen on donne le kyosaku sur chaque épaule, ça stimule des points qui relancent l’énergie dans le corps. Ça peut sembler effrayant mais en fait c’est une grande aide. Sur la tranche du kyosaku il y a une calligraphie traditionnellement « maku moso », « pas d’illusions ». Le rôle du maître ou de la sangha (la communauté des pratiquants) c’est celui-là aussi, t’aider à ne pas être dupe de tes illusions, les pointer du doigt. C’est sûr des fois ça fait suer, on aimerait juste être là à ronronner ou à se monter le bourrichon, houhou ! Il faut se réveiller !

 

 

A quels types de difficultés est-on confronté lorsque l'on pratique le Zen ?

 

Sur la voie, dans la vie, tu rencontres plein de difficultés : l’ennui, la colère, la lassitude, tu te dis qu’il y a mieux à faire ou autre chose, tu traverses des crises, tu rames, tu as l’impression de ne pas avancer, de ne pas progresser, d’être toujours aussi nul, voire pire… ou d’être au top, d’avoir tout compris, d’être complètement arrivé… Et c’est bien ! ça fait partie du chemin. En zazen tu te retrouves dans une posture où tout un tas de phénomènes vont venir se manifester à toi. Et elles ne se manifestent pas, comment dire, gratuitement. Les choses qui viennent à l'esprit, ce sont des choses qui ont besoin d'une attention. Pas que tu tournes la tête ailleurs. Ou que tu te crispes dessus.

 

Ce sont des passages, des états, et comme tout état, ça se traverse. Il faut arriver à en percevoir la nature illusoire, éphémère. Si tu rends l’obstacle, la difficulté trop concrète, trop réelle, tu vas te bloquer et rebondir dessus, engager un combat contre toi-même, arrêter, te lamenter ou te réjouir de trop. Dans « le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc », Herrigel demande à son maître de kyudo quand est ce que l’archer doit lâcher la flèche ? Ce n’est pas nous qui lâchons, pas notre volonté personnelle, « çà » lâche.

 

 

La méditation étant un travail qui semble exclusivement solitaire, comment intervient l'enseignant ?

 

Je ne perçois pas le travail de zazen comme un travail solitaire et plus ça va et plus je vois à quel point tous les humains sont embourbés - à des niveaux différents - dans le même magma et qu’ils sont finalement engagés dans la même quête.

 

Et dans un dojo Zen il y a une vraie pratique collective, il y a une intimité profonde qui se créé entre les pratiquants, inconsciemment, au-delà des mots ou du contact physique. Je sais que quand je pratique je ne le fais pas que pour moi ; la pratique dépasse notre simple sphère personnelle, notre seul bien-être. Et heureusement ! C’est également pour ça que je suis un peu dubitatif sur cette vague de la « méditation sous contrôle » : on réduit ça juste à un truc pour se faire du bien à soi.

 

Dans notre école pour parler du rapport au maître on parle de « I shin den shin », « de mon âme à ton âme ». C’est un rapport très particulier, qui ne passe pas que par les mots ou la présence physique, ça va au-delà. C’est une influence subtile - ou parfois moins subtile quand tu te fais remonter les bretelles - qui met en lumière ta nature originelle, qui est là pour te la rappeler, pour t’aider à te remettre là-dedans. Après le boulot c’est à toi de le faire, à toi de t’y abandonner. Et le maître t’aide à trancher ce qui peut te retenir. Comme quand on se fait ordonner moine ou nonne ; c’est le maître qui tranche la dernière mèche qui est sur ton crâne. Le maître et la sangha sont également là pour te permettre de voir ce que tu ne vois pas de toi : des aspects de toi-même qui te semble évidents tellement tu es habitué à fonctionner comme ça. Mais en fait d’évidences il s’agit encore de constructions auxquelles on s’identifie.

 

 

Comment gères-tu l'investissement des élèves, ou son absence ?

 

En matière d’investissement je ne me considère pas comme un modèle. Je ne demande rien à ceux qui viennent ou ne viennent pas. Sauf si tu me dis que tu seras là et que tu n’y es pas…notre pratique ne consiste pas à trouver la meilleure excuse pour ne pas pratiquer. D’ailleurs je trouve ça intéressant d’entendre les excuses des élèves : tu vois de suite où se situe la « crampe » chez eux. Je te rassure je fais ça pour moi aussi… Qu’est-ce que l’ego va bien pouvoir inventer comme impossibilité ? Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir trouver à te mettre dans les pattes pour t’empêcher de venir au zazen ? Il y a un maître - Lee Lozowick - dont j’aime bien le travail qui demandait à ses élèves de se poser sans relâche la question « who are you kidding ? » C’est une expression de la rue, de l’argot : « qui veux-tu rouler ? à qui est-ce que tu racontes des histoires ?» C’est assez dévastateur pour l’ego ; il n’y a plus vraiment d’endroit où se planquer quand tu te poses ce genre de questions. Tu n’as même pas besoin de répondre franchement pour constater qu’on est sans arrêt empêtré dans des histoires d’ego, des trucs oiseux, qu’on se créé nous-même nos impossibilités.

 

Pour ma part j’ai été « éduqué à l’ancienne » avec Jean-Claude : le vendredi soir il y avait un zazen au dojo de Toulouse et il n’était pas rare qu’on parte en virée juste après. Mais le samedi matin il y avait aussi zazen, et gare à toi si tu n’étais pas là !

 

 

Je m'interroge sur l'efficacité de l'Aïkido en tant que méthode de modification de soi. Est-ce qu'en se faisant attaquer 2 ou 3 fois par semaine et en essayant de gérer cela pacifiquement, on change vraiment ? J'ai le sentiment qu'on peut facilement passer à côté du truc.

 

Bien sûr. C'est valable également en zazen. Ce n'est pas parce que tu t'assieds qu'il se passe quelque chose de différent. Tu peux tout à fait passer à côté de la chose véritable. Tu peux t’asseoir sur un coussin, te raconter des histoires et y croire dur comme fer.

 

Il y a une histoire qui parle de ça : un moine qui fait zazen sans arrêt et qui dit « je veux devenir un bouddha ». Alors son maître vient s’asseoir à côté de lui en polissant une tuile pour en faire un miroir…

 

A première vue on comprend que le disciple est à côté de la plaque. Il n’a pas cerné que cet état de Bouddha ne dépend pas de son effort personnel ou alors si peu. On ne change pas un homme en bouddha, de la même manière qu’on ne change pas une tuile en miroir. Le disciple est dans l’illusion de l’efficacité, l’illusion de pouvoir se changer lui-même. Souvent on commence les arts martiaux (ou autre) parce qu’on veut devenir fort, puissant, endurant, prendre du pouvoir sur les autres, sur les situations. On est dans la performance, le faire, l’avoir, le contrôle. On veut changer, devenir quelqu’un d’autre…

 

Mais le disciple n’a pas forcément tort, il a juste un temps de retard, il faut remonter jusqu’à l’intention : notre pratique c‘est de polir la tuile, certes, mais c’est surtout de nous observer en train de polir la tuile. A force d’observer, de laisser passer, on voit notre esprit tel qu’il est : un miroir, dans lequel on peut voir notre vrai visage, illimité. Et il n’y a plus ni miroir ni visage, il n’y a plus rien. La frontière entre les deux est très mince, voire on passe sans arrêt de l’un à l’autre : on contrôle, on saisit et puis on lâche prise, on disparaît. Et ainsi de suite. Ce va et vient continu c’est notre pratique. Et ce qui nous pousse à continuer un truc aussi absurde c’est la foi. La foi en notre esprit. La foi sans objet. Sans vouloir rien obtenir. Et ça, ça te transforme. Ça ne te changera pas : tu ne deviendras pas un autre que ce que tu es. Mais ça te transformera en accédant à ta vraie dimension. En plus dans cette histoire ce qui est vraiment intéressant c’est que le disciple a un éveil, une compréhension, non pas grâce à ses efforts mais grâce à un évènement fortuit, extérieur à sa volonté…comme si l’univers entier faisait miroir pour lui montrer son erreur et également sa vraie nature.

 

Pour ramener çà à l’aïkido quand une saisie ou une frappe arrivent, qui menacent ton intégrité physique et vitale, la pratique qui va vraiment être source de transformation, à mon sens, consiste à observer ce que tu peux ressentir et comment les mécanismes de réaction vont se mettre en branle: fuir, se battre ou se tétaniser. C’est à ce moment-là, dans l’intention, qu’on peut faire le choix de suivre sa réaction ou d’observer. Pour observer ça, ça demande d’être en amont, d’être présent avant même l’intention. Cela demande d'être un temps en avance. De trouver l’immobilité au cœur du mouvement : c’est-à-dire ne pas être dupe du mouvement. C’est « être là où rien ne peut prendre racine » comme en zazen, ni subjugué par ce qui arrive, ni trop relâché.

 

Si tu ne l'as pas vu venir, si tu n’es pas vigilant, tu te retrouves en réaction, tu t’agrippes, mais en fait c’est le phénomène qui t'attrape, et c’est la spirale infernale, réaction sur réaction. Quand tu t’accroches à quelque chose il ne faut pas oublier que c’est toi qui est accroché, pris. Tu peux vite basculer de tori à uke. Et tu tombes très vite dans le piège.... Du coup il s'agit de revenir à soi, au bout d’un moment on comprend, on laisse passer, on prend confiance, on comprend intuitivement que rien ne peut arriver véritablement.

 

 

Cette idée d'agir en amont se retrouve dans les arts martiaux, aux plus hauts niveaux de maîtrise.

 

On peut ajouter l'idée d’agir sans se bloquer dans une direction. Il y avait un maître Zen rinzaï, Ikkyu, qui a eu un satori, un éveil, en voyant passer un vol de corbeaux. Il a écrit un poème : « Un corbeau qui ne pousse aucun cri est libre de pousser le cri qu’il veut ». Si tu n'es pas engagé dans une direction, si tu n'es pas compromis, toutes les directions sont ouvertes. C'est ce qui se passe souvent dans l'attaque en fait. Tu t'engages dans une direction et grosso modo, en général, là tu es fichu parce que tu vas t’y accrocher. En t’attachant à une option il y en a 10 000 que tu viens de fermer. Tu viens de créer ton enfer. Le satori de Ikkyu c'est ça : garder « les possibles », ne pas bloquer le flux du présent. C’est très important pour tori, mais ça l’est encore plus pour uke : ne pas entrer dans une logique de désespéré qui va s’accrocher à son idée, mais coller à l’action et rester disponible. Ça aussi c’est difficile : se lancer sans suivre d’idée préconçue : on a tendance à suivre des schémas conçus à l’avance et à s’y cramponner même si ça nous coûte très cher.

 

 

Cela prête à question tout de même. Car on ne peut pas passer sa vie à ne s'engager dans rien...

 

C’est ça le truc ! De toute manière on vit, on s’engage, même si on reste immobile comme un caillou, ou qu’on court dans tous les sens, de peur de faire des erreurs, on est quand même engagé dans une direction. L’erreur fait partie du chemin. C’est comme ça qu’on apprend. A condition de ne pas être continuellement tiré par son ego, par ses réactions en chaîne, ses conditionnements, de ne pas passer d’une erreur à une autre, mais de prendre conscience de notre discours intérieur.

 

L’ego ce n’est pas l’ennemi à abattre ; il nous permet de fonctionner sur un certain plan, d’assurer une cohésion physique, mentale, sociale. L’ego n’est pas un ennemi parce qu’il n’a pas d’existence réelle, solide. Le problème vient plutôt de notre discours intérieur qui tente coûte que coûte de maintenir la croyance dans cet ego solide et qui s’évertue à perpétuer des schémas qui alimentent cette croyance, des schémas de survie. Notamment quand nous nous trouvons dans une situation où notre ego, notre désir de contrôle, se sent menacé. Du coup l’ego, d’une position de garde, se met à devenir notre gardien ! Tous nos efforts, nos actions sont assujettis à maintenir cette croyance, cette position de l’ego. Comme si on passait notre temps à entretenir un mur autour de nous.

 

Le propos du zen c’est de prendre conscience de ce discours intérieur, de s’en décoller, pour accéder à notre vraie dimension.

 

 

Un rapport avec la notion de réactivité que tu as évoqué ?

 

Oui. C'est toujours l'histoire de ce qui se passe en amont. Si on réagit c'est qu’on pense y avoir un intérêt : on cherche à sauver ou à atteindre quelque chose. Mais il n’y a rien à sauver, rien à atteindre, rien à réparer !

 

99,9% du moteur c'est l'illusion de la séparation, l’illusion d’un soi isolé du reste et la souffrance qui en découle. Le « cœur blessé ». Tout le temps on cherche à réparer cette soi-disant séparation, à combler cette faille : on veut ci, on veut ça, la moindre contrariété, la moindre chose qui n’est pas dans nos schémas nous renvoie à cette faille, à cette douleur et du coup à une réaction pour y échapper. Quand tu comprends que tu n’es séparé de rien alors tu ne cherches plus comme un désespéré, tu ne bouges plus en réaction à quoi que ce soit ! Tu peux bouger librement et t’engager librement.

 

 

Des gens qui ont de l'ego il y en a beaucoup dans le Zen ?

 

Ben tous ! (rires)

 

Dans le Zen on dit que pour pratiquer il vaut mieux avoir un ego équilibré.

 

Si tu as un trop petit ego, tu ne t'en sors pas. Tu arrêtes.

 

Si tu as un trop gros ego, c'est pareil, tu exploses ou tu deviens tyrannique.

 

Donc il faut avoir un ego suffisamment opiniâtre, costaud et têtu pour tenir. Et en même temps avoir de la souplesse pour pouvoir s'effacer. Et puis de l’humour, ça aide…

 

 

Un mot pour finir ? Que conseillerais-tu à quelqu'un qui veut commencer ?

 

De commencer, puis de se détendre et de persévérer…

 

 

Lexique

 

Zazen : posture de médiation assise et immobile, utilisée par le bouddha Shakyamuni lorsqu’il a atteint l’éveil

 

Kyosaku : « bâton d’éveil ». Le coup de kyosaku pendant le zazen a un effet à la fois tonifiant et calmant.

 

Zafu : coussin rond, rempli de fibre de kapok, utilisé pour le zazen

 

Kolomo : habit traditionnel du moine zen, robe noire avec de longues manches

 

Sesshin : période de pratique intensive du zazen, de un jour à plusieurs jours de vie collective, d’attention et de concentration

 

Kesa : habit du bouddha, habit du moine, symbole de la transmission de maître à disciple. Originellement le kesa est composé de bouts de tissus récupérés, qui sont ensuite lavés, recoupés et teints. Puis assemblés en bandes pour former une toge qui vient recouvrir le kolomo. C’est le vêtement qui représente l’éveil dans le bouddhisme zen.

 

Rakusu : kesa plus petit, plus pratique pour la vie quotidienne

 

Koan : énigme, paradoxe, proposé par un maître (zen rinzaï) à son disciple

 

Sangha : communauté des pratiquants

 

Satori : s’éveiller à la vérité cosmique

 

kin hin : après zazen, marche lente et méditative